C’est quoi “professionnaliser” une activité ?

Je reviens ici sur la suite de mon entretien avec Henri Anoko en août 2016. Mon désir depuis des années a toujours été de professionnaliser mon activité, et je ne l’ai jamais caché. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai rejoint l’AIPAC et que pendant 4 ans, j’ai sué sang et eau pour pousser cette association.

Malheureusement, je ne vois plus les choses du même œil que son fondateur, et je souhaiterais essayer autre chose. Puisque, quand je pense à la professionnalisation de notre métier, je pense à un Ordre National des Professionnels des Métiers de la Communication. Et quand je parlais de fédérer les actions dans cet entretien de 2016, j’étais alors loin d’imaginer que des individus qui apparemment ne comprennent rien à ce qu’on fait, viendraient mettre leur grain de sel pour proposer une aberration comme le projet de loi 1076/PJL/AN du MINAC.

Mais il n’est pas encore trop tard, nous pouvons encore honorer notre rendez-vous avec l’histoire.

De la professionnalisation en général

Question : Vous revenez tout le temps là-dessus ; c’est quoi “professionnaliser” une activité ?

Oui, j’ai mené une réflexion sur la question pour faire un état des lieux à travers une série de trois articles.

C’est mettre en place des règles éthiques, une déontologie, c’est définir des niveaux minimums de compétence afin de pouvoir qualifier quelqu’un de professionnel.

Le dictionnaire Larousse définit le professionnel [ça a évolué entretemps. 😅] comme quelqu’un qui est payé pour faire un travail. La question est est-ce que cette définition est satisfaisante ? Elle ne tient pas compte de la nature et de la qualité du travail à fournir, ni de la valeur attachée au service qu’il rend.

Livre "Design Professionalism" de Andy Rutledge
http://designprofessionalism.com/

Aujourd’hui, nous avons besoin de nous organiser pour mettre en place une véritable profession.

J’ai pris un exemple tout à l’heure hors enregistrement par rapport à l’ordre national des médecins, des architectes, des experts comptables, du barreau du Cameroun etc… Il y a une procédure (des examens) pour y entrer. Je suis heureux, car aujourd’hui, il est mis sur pieds des référentiels de formations. Ils donnent une perspective sur un diplôme national de graphiste de production comme il y a un diplôme national pour les webmasters.

Le travail des pouvoirs publics

Beaucoup de gens sont encore dans l’ignorance des efforts que les pouvoirs publics fournissent. Le COSUP, organisme national, s’occupe de l’orientation des jeunes et c’est toujours à tort que les gens se plaignent du manque d’attention et de l’absence des pouvoirs publics. Ils ne vont pas frapper à la bonne porte pour avoir la bonne information c’est tout. Beaucoup de centres de formation professionnels enseignent sans tenir compte de ces référentiels de formation, et même que pour avoir un agrément, on vous exige de présenter un programme qui respecte l’approche par compétence définie par la francophonie qui définit au bout de chaque module ce que l’apprenant sera capable de faire.

La formation ici est centrée sur la transmission et la communication d’un savoir certes, mais d’un savoir opérationnel, d’un savoir-faire. Maintenant, les usagers ont toujours le choix de respecter une règlementation en vigueur ou non dans un pays où chacun fait ce qu’il veut.

Pas d’amalgames

Je ne fais pas de la politique, mais juste un constat. Mais il y a des référentiels de formation qui arrêtent et définissent un minimum de connaissances à acquérir pour qu’un étudiant accède au niveau de graphiste de production, un module pour concevoir une page web simple par exemple. Il faut déjà commencer à intégrer l’apport du numérique dans la communication.

Il y a dans ce pays des gens qui réfléchissent mais qui ne peuvent pas tout faire. Donc à partir de là, si un candidat est capable de résoudre une épreuve proposée à l’examen national, alors il peut prétendre à la profession. Pour être formateur, il m’a été exigé une expérience professionnelle de deux années au moins parce qu’ayant été formé sur le tas, je n’avais pas de diplôme à présenter. Pourtant, nous exerçons un métier qui est orienté compétence. Donc c’est sur votre compétence, sur les résultats qu’on vous juge et qu’on vous attribue une valeur. Malheureusement, tout le monde veut faire du design, du graphisme parce que c’est sympathique, c’est cool. On a essayé partout et si on ne s’accroche pas là, c’est fini, tout est perdu, tout s’arrête.

Professionnaliser une activité : de l’organisation de l’activité

Question : Si la pratique de l’infographie n’est pas organisée, peut-elle prétendre être d’un apport quelconque à la publicité ?

La pratique de la publicité a l’avantage d’être un peu plus ancienne que celle de l’infographie dans ce pays. Certes, nous avons dans le passé eu beaucoup de directeurs artistiques, beaucoup de directeurs de création (blancs) européens qui ont essayé de transmettre bon gré mal gré leur savoir et leurs acquis. Vous allez vous rendre compte que beaucoup de personnes qui se sont lancées dans l’imprimerie dans le temps au départ ses sont transformées en graphistes et beaucoup de clients font cette erreur-la, cette confusion entre un imprimeur et un graphiste. C’est la conséquence du fait que la pratique de l’infographie s’est développée très vite sans que l’on ait pensé à l’encadrer très tôt. Il faut aussi reconnaître pour le bien de beaucoup en général et de moi qui vous parle en particulier que si les règles avaient été trop strictes, je ne serai pas rentré dans ce métier. Mais c’est tant mieux, c’est chacun qui essaie de se bâtir une conscience professionnelle en fixant à chaque fois un seuil qui définit le niveau minimum de compétence que l’on souhaite développer pour pouvoir être capable de faire un travail utile qui cadre avec un certain nombre de sollicitations.

Sans graphistes, la publicité existerait, mais ne serait pas aussi efficace. La publicité a besoin de graphistes pour traduire ses idées, ses pensées en visuels, en images. Très peu de gens sont au courant en fait de comment est-ce que les choses sont organisées ou devraient l’être dans une agence de communication professionnelle ou entre un client qui traite avec un graphiste sans intermédiaire. La publicité ; pour parler de la communication visuelle, exige deux éléments au minimum : l’image et le texte.

Professionnaliser une activité : sur le conflit entre agences conseils et créatifs

Question : Suite à une remarque d’un de vos confrères (Alexis LELE) en l’occurrence, la création graphique est l’affaire des studios graphiques. L’agence a-t-elle vocation à faire de sa création graphique.

La création graphique justement est l’affaire des studios graphiques. Mais des agences de communication disposent de studios graphiques en interne ou d’équipes de création en interne parce que la campagne, c’est 02 personnes (phase d’exécution) : le concepteur rédacteur et le directeur artistique. Dans la phase de création d’une campagne, en termes de hiérarchie, il y a ce qu’on appelle le “strategic planner” celui qui s’occupe de la stratégie globale de la campagne (tout ce qui renvoi au marketing, à la communication, les objectifs) il met en place la stratégie globale. Il a besoin du directeur de création qui est l’équivalent du réalisateur dans un film qui a son tour, a sous ses ordres un directeur artistique, un concepteur rédacteur (c’est seulement des binômes comme çà qui conçoivent la campagne).

Le directeur artistique ne touche pas nécessairement à l’ordinateur. C’est à l’exé que revient cette prérogative. Le directeur artistique d’habitude fait un crayonné (un draft) qui représente et donne des indications pour le travail qu’il attend de ses collaborateurs. Bref c’est une simulation au crayon (du genre voilà le panneau 4x3m par exemple, je veux le personnage ici, le pack shot là, le logo avec une ambiance comme ça ainsi de suites). C’est un document à titre de directives à suivre pour l’exécutant qui va accomplir le travail demandé. Il lui revient donc de faire le choix des éléments (images, polices de caractère, ambiance générale, effets spéciaux, couleurs, etc) qui vont rentrer dans la construction de l’affiche, je parlais plus haut du panneau 4x3m s’il s’agit de lui.

organisation d'une agence de publicité d'après mad men

Plus d’agences conseils en communication que d’agences publicitaires

Mais dans les agences plus organisées encore, en dehors des deux mentionnés plus haut, il y a aussi le directeur photo. Parce que le directeur de créa doit penser la campagne à 360° que ce soit pour la partie print, production (audio-visuel), terrain, ou digitale. Beaucoup de gens confondent encore l’action commerciale et le marketing opérationnel. Les actions de terrain exigent d’abord de passer par le marketing opérationnel pour en faire la stratégie et maintenant les ventes qui sont différentes du marketing font l’action commerciale. Voilà en réalité comment une agence conseil devrait travailler. Maintenant, pour la partie créa, ils peuvent l’extérioriser pour la confier à un studio graphique et/ou un studio de production pour s’occuper de toutes les déclinaisons.

Allez au-delà des compétences techniques des praticiens

Question : Pour être graphiste est-ce que seuls les logiciels appris suffisent ? Vous avez une autre formation qui vous permet d’utiliser le graphisme à d’autres fins ?

 C’est justement cette formation que tous les graphistes devaient avoir. C’est pour ça que je me plains depuis et ma revendication est que les graphistes puissent être intégrés en amont de la création de la campagne. Les agences ont intérêt à intégrer le graphiste en amont de la création de la campagne parce qu’on peut leur dire ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Voilà ce qui est possible de faire avec le médium, ce que vous voulez faire sur le terrain c’est mieux de le faire en affichage et ce que vous voulez faire en affichage faites plutôt des actions commerciales ainsi de suite. Et le merchandising se fait sur place.

Et maintenant, on pouvait tirer profit du cross canal, de la comm’ à 360° en passant par le digital. Avec les réseaux sociaux qui ont envahi nos téléphones, ce qu’on peut faire de nos jours en termes de communication digitale est incroyable. Mais c’est le rôle du studio graphique de penser à des choses comme çà. L’agence conseil, son rôle c’est de faire du conseil. Parce que l’implémentation de la campagne en réalité qui la fait ? C’est le directeur de campagne en agence qui l’a fait.

professionnaliser une activité : logiciel de création graphique

État des lieux alarmants

Question : À vous entendre il me semble que l’activité ne se porte pas bien. Comment se porte le graphisme au cœur ?

C’est un peu de notre faute parce que nous même les graphistes nous-nous sommes limités à faire des programmes de deuil et à attendre qu’on nous dise quoi faire ; qu’on nous appelle pour nous dire ok fais nous la créa de ceci et du coup on a amené les gens à ne pas nous prendre au sérieux. Moi j’ai eu beaucoup de peine à faire comprendre aux gens que le studio graphique était là pour aider les agences de communication et qu’on n’était pas des concurrents, mais qu’on était là pour apporter un plus, une main d’œuvre supplémentaire un point de vue extérieur, une perspective différente.

Question : Votre posture ne pose-t-elle pas le problème de la définition et du rôle de l’agence conseil ?

Il y a une législation sur les agences conseil, il y a des textes, il y a un conseil national de la communication qui disent en quoi consiste le travail d’une agence conseil. Mais c’est justement pour pallier l’absence des studios graphiques de la législation que les agences se sont dotées de département créa. Vous allez voir de plus en plus de grands groupes au Cameroun avoir des départements de créa en interne (Biopharma, SABC, UCB) pour des tâches de petite envergure. Mais pour penser la stratégie globale de comm’ en outdoor et sur le terrain, on a toujours besoin de s’adresser à une agence conseil.

C’est pour cela que souvent, quand certains clients viennent nous voir ici on leur dit que non on ne peut pas faire ça pour vous, adressez-vous à une agence et vous nous cooptez pour l’implémentation de la campagne et là, le rôle du studio graphique peut commencer.

Du planning et de la création

Nous faisons de la direction de création, nous travaillons la direction artistique des campagnes, nous pouvons même travailler les messages parce qu’il y a un métier dont on ne parle pas très souvent ; c’est celui de concepteur rédacteur.

En réalité c’est lui qui fait la pub parce qu’il y a deux aspects de sa fonction :

  • celle de la conception (trouver le concept de la campagne),
  • et celle de la rédaction du message (rédiger le message le bon message pour la bonne audience).

De la relation client – créatif

Vous ne pouvez pas aller au marché central et vous adresser à des commerçants comme vous-vous adressez à un directeur de société. Malheureusement, quand nous donnons notre avis aux clients, ils se disent que non, on n’y connait rien.

professionnaliser une activité : le client est roi

Il y un post qui a un peu chauffé sur Facebook au sujet de « le client est roi ». Beaucoup de gens s’arrêtent à ce niveau de la phrase. En réalité la citation continue avec la question « mais, que veut le roi ? ». Certes le client est roi :

  • Mais que veut le roi ?
  • A-t-il des besoins d’expansion, veut-il protéger son territoire ?

En réalité beaucoup de gens se limitent à cette partie de la phrase :

  • …mais que veux le roi ?

Il est roi oui, mais qu’est-ce qu’il veut ? Est ce qu’il veut mettre ses sujets à l’aise ? Parce que les clients savent qu’ils sont roi alors ils se comportent comme des enfants capricieux. Il y a beaucoup d’agences de comm’ qui cèdent à tous les caprices des clients comme des parents gâteux aux caprices de leurs enfants. Pour la simple raison que qu’il y a toujours la menace qui plane : « si tu ne veux pas le faire je donnerai à ton concurrent, il le fera ».

Alors que le travail consiste à donner au client ce dont il a besoin, pas ce qu’il veut.

Mais maintenant si vous n’avez pas les connaissances fondamentales nécessaires pour amener le client à comprendre que vous êtes un expert dans ce que vous faites alors il ne vous prendra pas au sérieux, il va vous prendre pour ces gars qui se limitent à faire des programmes de deuil.

Professionnaliser une activité : début de solutions ?

Question : Alors qu’est-ce qu’il faut faire dans ce cas ?

Ce que Alexis a commencé : commencer à s’organiser, qu’on arrête de faire cavalier seul pour gagner en crédibilité.

Qu’est ce qui donne du crédit à un avocat aujourd’hui ? Ce n’est pas son diplôme je suis désolé. Son diplôme il l’a, mais tant qu’il n’a pas passé le barreau, il n’est pas encore avocat c’est tout. Un médecin peut bien sortir du CHU ou du CUSS mais tant qu’il n’a pas l’examen certifié et validé par l’ordre national des médecins du Cameroun, il ne l’est pas encore. Pareil pour d’autres groupes de qualité, les experts-comptables.

Tant qu’un jeune qui vient d’avoir son master n’a pas passé au moins trois ans en cabinet chez un expert-comptable qu’il ait fini son apprentissage et qu’il a reçu l’approbation de l’expert, il n’est pas expert-comptable jusqu’à preuve du contraire. C’est de çà qu’il s’agit aujourd’hui. Faire de notre métier une profession et là, on nous prendra forcément au sérieux. L’État veut et peut nous aider à mettre ça en place et Alexis l’a compris.

Maintenant c’est une question d’unité et d’égo. Que chacun accepte de s’assoir sur son égo et soutenir l’idée de la fédération même si elle ne vient pas de lui. Qu’on arrête de penser que parce que ce n’est pas moi qui ai eu l’idée, alors, je ne vais pas adhérer.

C’est une idée que j’ai depuis trois ans, c’est alors que j’ai découvert que quelqu’un d’autre travaillait déjà dessus depuis 10 ans, et ça ne fait pas un an qu’on s’est rencontré sur les réseaux sociaux (Facebook) et qu’on a commencé à en parler. La première assemblée générale s’est tenue il y a trois mois. Je n’ai pas pu me libérer certes pour y assister, mais combien de personnes étaient seulement informées d’une telle initiative, des résolutions prises pendant cette assemblée et ce qu’on compte entreprendre pour qu’on nous prenne un peu plus au sérieux ?