Je suis dans le métier depuis 2008, et j’ai toujours rêvé de contribuer au professionnalisme dans le design. J’ai essayé d’y arriver en adhérent à une association, en collaborant avec le ministère de tutelle et même en lançant un département de formation.
Aujourd’hui, qu’en est-il ?
Chaque année, des étudiants passionnés et enthousiastes en design font leur entrée dans l’industrie qu’ils admirent depuis si longtemps – celle pour laquelle ils se sont préparés si longtemps et travaillé si dur pour en être digne – juste à temps pour finir déçus et frustrés.
Pourquoi ?
Étant donné les raisons pour lesquelles tant d’entre nous sont devenus designers en premier lieu, il est peut-être plus facile de considérer le design plus comme une passion qu’un métier.
Bien que pour la plupart des designers, ce point de vue n’est pas destiné à diminuer volontairement ou à exclure les aspects professionnels de ce que nous faisons, il nous distrait souvent de l’attention appropriée que nous devrions avoir quant à la question du professionnalisme. Sans surprise, cette inattention entraîne des conséquences comme l’insatisfaction.
La frustration professionnelle semble être un fait accompli pour les designers.
Trop de ce qui passe pour de la préparation obligatoire laisse les designers pas assez préparés et mal préparés pour la profession. Qui plus est, les designers sont constamment mis sur la mauvaise voie par les établissements d’enseignement et des organisations sociales publiques (bien que sur ce dernier point, le COSUP fait de bonnes choses).
Vu de l’intérieur, le regain d’activité dans les programmes de design (qu’on appelle malheureusement à tort infographie) et les organisations sociales semble s’élever à quelque chose de conséquent et de constructif (mise en place des référentiels de formation, par exemple).
Cependant, un examen et une comparaison objectifs de ces facteurs aux normes et responsabilités professionnelles révèle que la plupart des programmes éducatifs sont largement hors de propos.
Le même examen révèle que la plupart des studios graphiques et des agences de communication sont peu ou prou des cliques d’autopromotion insulaires, dont les préoccupations sont de déchirer le tissu de la profession, d’établir des lignes directrices déformées et induire en erreur, plutôt que de rendre disponibles des orientations claires et responsables.
Comme quoi, on s’épanouit mieux dans le désordre. Et on me demandera certainement dans quelle agence j’ai déjà travaillé ?
Les conventions et les traditions
Au fil du temps les conventions établies par ceux qui nous ont précédé ont conduit à l’établissement de certaines traditions mal orientées et non professionnelles dans l’industrie ; bien que compromettantes et destructrices, aujourd’hui encore, elles persistent.
Une partie de ce qui rend ces aspects négatifs si dommageables, est que nous grandissons souvent avec eux au cours de ce qui passe pour être notre préparation professionnelle. Ainsi, leurs caractéristiques plus que douteuses semblent se fondre dans le paysage de notre pratique.
Au lieu de remettre logiquement en cause ces idées, traditions, et habitudes, nous avons plutôt tendance à les considérer comme obligatoires, au détriment de notre succès et de notre épanouissement.
Ceux d’entre nous qui avons rapidement embrassé la profession nous sommes rendu compte que de nombreux aspects de notre travail exigeaient une compréhension et des conventions pour lesquelles nous manquions de préparation.
Nous constatons que les normes dans nos lieux de travail ne sont uniquement appliquées (dans de rares cas) qu’à la production des livrables et au volume des projets, excluant les valeurs professionnelles et l’intégrité.
Donc, nous faisons ce qu’il y a à faire, et notre épanouissement en souffre. Nous bâtissons ensuite l’habitude de faire ce qu’il y a à faire et de prendre ce que nous pouvons obtenir, et bientôt, nous commençons à trouver facile d’assimiler le gain de projets (quel qu’en soit le coût pour notre intégrité) au succès.
De cette manière nous bâtissons une carrière à l’intégrité compromise, ce qui bien sûr conduit inévitablement à la frustration permanente (du moins, pour ceux qui ont encore une conscience).
Il ne devrait pas en être ainsi. Nous le verrons dans l’article suivant de la série.
Professionnalisme dans le design : la source de la frustration
Il m’arrive souvent d’avoir des conversations avec des designers de tous grades ; en agence, en interne dans des entreprises, et du monde indépendant. La caractéristique la plus commune de ces conversations est la frustration qu’ils éprouvent vis-à-vis des composants compromis de la vie professionnelle. J’ai constaté que la quasi-totalité de leurs frustrations est dirigée contre le client ou la culture d’agence/entreprise.
Ce sont des choses sur lesquelles nous avons chacun pour sa part, un contrôle complet.
Bien que le développement professionnel insuffisant, les normes internes fragiles, et les mauvais comportements nous amènent à placer le blâme ailleurs, comme si nous étions simplement des pions dans un jeu inaccessible joué par des gens bien meilleurs que nous.
Ce faisant, nous forgeons notre propre irresponsabilité, qui devient alors un élément important de notre travail et la référence principale de ses résultats.
Mon temps passé à parler avec certains de mes pairs et surtout avec mes étudiants révèle que la plupart des designers ont peu ou pas d’idée de ce que signifie être un professionnel ou même ce que sont les caractéristiques d’une profession, ou comment ces caractéristiques comprennent autre chose que la vocation moyenne.
En fin de compte, la plupart d’entre nous développent l’idée selon laquelle être payé pour concevoir des choses ou avoir un titre comme directeur artistique signifie être un professionnel.
Manque de personnalité chez les designers
Après ce premier constat, je trouve que trop de designers ont tendance à tout simplement supporter toute idiotie qui se présente, et à se conformer à tout compromis attendu d’eux dans le cadre de leur travail. Malheureusement, c’est une idée très répandue et populaire que ces aspects négatifs du travail sont tout simplement les coûts inévitables pour faire ce que vous aimez.
La plupart d’entre nous décident simplement de vivre avec, mais je crois qu’à un moment donné de notre vie, nous nous attendions tous à quelque chose de mieux (ou de différent ?).
Et non sans raison !
Il semble que la plupart d’entre nous imaginaient qu’en tant que professionnels du design, nous serions spéciaux ; que nous ferions un travail spécial pour des clients spéciaux et que nous serions traités comme des professionnels, peut-être même considérés comme des gourous. En tant que professionnels, nous avions imaginé que nous serions capitaines de nos propres destinées, vivant une vie d’intégrité et de prospérité, avec très peu d’obligations à remplir.
Trop souvent, cependant, nous sommes considérés comme des vendeurs ou des produits, et sommes traités en conséquence.
Au lieu d’être vus comme des sources de savoir et de compétences spécialisées, beaucoup d’entre nous sont considérés comme du simple personnel de production par nos clients et nos employeurs.
Au lieu de faire un travail spécial, qui compte, et qui soit gratifiant, nous nous retrouvons trop souvent dans des carrières qui sont à la limite du tolérable.
Ce n’est pas la profession dont nous rêvions. La triste réalité est que la faute nous revient et nous seuls pouvons arranger cette situation ; mais réparer exige de nous que nous ayons une idée claire de ce que nous visons. De toute évidence, cette idée ne se trouve dans aucune des formes de nos traditions et publications institutionnelles ou organisationnelles (quand bien même ces dernières existent).
Indépendamment des ressources ou systèmes disponibles, il est immoral et destructeur pour toute profession de supporter allègrement et de s’accommoder à l’institutionnalisation du manque de pratique professionnelle et du mauvais comportement de ses membres.
Où la sanction n’est pas applicable, l’éducation est impérative, mais notre profession offre rarement l’éducation nécessaire.
En conséquence, la profession du design vécue de l’intérieur et perçue de l’extérieur est brillamment non professionnelle.
Mais ma conviction profonde est que nous pouvons, en tant que membres de ce corps de métier, faire beaucoup plus pour nous-mêmes.
Professionnalisme dans le design : il existe une meilleure voie
Les composants qui permettent la pratique réussie et satisfaisante du design sont étonnamment simples. Mais simple ne veut pas dire facile ; des normes strictes sont très difficiles à maintenir. Votre inclinaison initiale peut être de vous irriter contre et vous opposer à ce qui peut parfois ressembler à des normes ou des exigences obtuses.
Ces réactions communes sont certainement la plus grosse raison pour laquelle il y a si peu de professionnels réels dans notre industrie.
Méfiez-vous des modèles non pertinents, populaires de « professionnels ». Être un designer compétent et largement célébré n’est pas synonyme de professionnalisme dans le design.
La compétence est une condition préalable, mais n’est qu’une petite composante du professionnalisme (et la célébrité n’a absolument rien à voir avec ça : d’ailleurs, qui me connaît ?).
Notre objectif ici est de révéler et de préciser les caractéristiques et les composantes importantes du professionnalisme dans le design et d’offrir une définition claire, ainsi qu’une voie vers de meilleurs résultats et une pratique plus gratifiante.
Ce qu’il faut retenir sur le professionnalisme dans le design
Ce n’est pas pour dire, cependant, que ce sera un chemin facile. Comme tous les efforts sans compromis, le professionnalisme fraye un chemin droit et étroit. Développer la discipline de rester sur ce chemin demande de la pratique.
Heureusement, comme vous le verrez, les idées et les idéaux émis dans cette série d’articles se renforcent mutuellement. Avec une pratique suffisante, de la réflexion et de l’expérience, nous pensons que tout ce qui sera présenté dans les articles suivants fera sens pour vous en tant que Gestalt utile.
C’est notre espoir sincère.
Je reprends dans cette série d’articles, une grande partie des propos de M. Andy Rutledge, propos que je partage avec conviction.