J’aurais pu parler des difficultés rencontrées au Cameroun, mais je préfère ratisser large. Car lors de la rédaction de mon article sur l’état du design web en Afrique, je suis entré en contact avec des confrères de plusieurs pays d’Afrique.
Je me suis alors rendu compte que nos réalités n’étaient pas si différentes.
Je n’étais pas très motivé ce matin pour continuer cet article, jusqu’à cette publication d’un jeune Camerounais : Atome. À qui j’adresse d’ailleurs mes félicitations à cette occasion.
Il résume en quelque sorte ce que je m’apprête à vous dire dans cet article. Par difficultés, j’entends ici les obstacles. Nous allons en parler dans un ordre du type « de l’intérieur vers l’extérieur ».
Premier obstacle : L’individu (vous-même)
Que le jeune Africain le veuille ou non, le premier obstacle quand il s’agit d’entreprendre c’est lui-même.
Beaucoup argueront que le système scolaire ne favorise pas cette disposition mentale à entreprendre, que l’environnement n’est pas propice à l’entrepreneuriat jeune, etc…
Je dirais simplement que ce sont des arguments qui empêchent le jeune Africain de regarder la vérité en face et de l’accepter : il a peur.
Peur de l’inconnu. Je peux comprendre, car il n’y a pas d’université où on enseigne l’entrepreneuriat à proprement parler, du moins à ma connaissance.
Peur de la précarité… Sérieusement ? Qu’est-ce qui pourrait nous arriver de pire ?
Peur de ne pas être compris. Beh, vous savez quoi ? Ça arrive à tout le monde.
Deuxième obstacle : la motivation
Bien que ce facteur soit intimement lié à l’individu, il est malheureusement tributaire de l’environnement, parfois.
Beaucoup de jeunes aujourd’hui veulent être à leur propre compte pour fuir le chômage, et par là-même, la misère. C’est un besoin légitime de vouloir s’en sortir, mais pas une motivation suffisante pour entreprendre.
De plus, aujourd’hui, tous les jeunes du monde veulent être riche tout de suite et maintenant, et si possible, sans faire trop d’efforts. Tous ces jeunes veulent être le prochain Eto’o ou Dangote, sans prendre la peine de se renseigner sur leurs parcours respectifs ; c’est la destination qui les intéresse.
Troisième obstacle : l’entourage
Je voulais parler de famille ici, mais je préfère m’exprimer au sens large : l’entourage. Très souvent, l’entourage est le premier inhibiteur d’ambitions entrepreneuriales chez le jeune Africain.
La famille proche et les amis sont encore aujourd’hui et malheureusement, les premiers tueurs de rêve. Ne vous laissez plus berner.
Je ne suis pas passé par là quand il s’est agit d’entreprendre. Mais ma première aspiration était sportif de haut niveau en basketball, jusqu’à ce qu’un accident au genou y mette un terme. Puis durant ma convalescence, je me consacre à la guitare et je veux devenir concertiste. Pour cela je souhaiterais aller au conservatoire à Paris. Un oui/mais de la vielle me pousse à m’inscrire « d’abord à la Fac ». Mais ce n’est pas la musique qui me fera prendre l’avion, mais plutôt mes études en expertise comptable que j’abandonne plus tard, cette fois avec le soutien de ma mère, pour devenir designer.
Tout le monde n’a pas cette bénédiction.
Et mon père dans tout ça ? Eh bien, je l’ai perdu j’avais 14 ans, ma mère est donc mon seul parent en vie. Du coup, difficile d’avoir tout ce qu’on veut, non ?
Quatrième obstacle : le système éducatif et le marché de l’emploi
Dois-je le souligner ? Notamment en Afrique noire francophone ?
Hérité de la colonisation, nous avons un système éducatif qui forme des futurs fonctionnaires et salariés.
Il est clair que des efforts de la part de certains gouvernements sont faits, notamment au niveau de la formation professionnelle et de l’apprentissage. Déjà l’adoption de l’approche par compétences par la plupart des systèmes éducatifs (ne me parlez pas de l’implémentation) est un signe encourageant.
Jusqu’à ce qu’on voit le succès fulgurant de jeunes entrepreneurs comme Zuckerberg (Facebook) ou Larry Page et Sergueï Brin (Google), on ne pensait pas à enseigner l’entrepreneuriat dans les écoles (même de commerce).
Par exemple : lors de ma énième classe de terminale, le fondateur de l’établissement Feu M. Pamen entre dans notre classe d’une cinquantaine d’élèves et demande : « Qui croit en l’auto-emploi ? » Nous étions deux à lever la main. J’ai co-fondé (avec ma famille) Lotin Corp. et l’autre est ingénieur chez Nokia.
Mais sachons qu’aucune école au monde à une certaine époque ne préparait les jeunes à l’entrepreneuriat, en atteste Michael Janda quand il commet son livre Burn Your Portfolio: Stuff they don’t Teach You in Design School, But Should.
Mais la forte dépendance à ce que j’appelle la « diplomite » pour accéder à un emploi décent gangrène toutes les hiérarchies par l’incompétence (je ne sais pas si ce que j’écris a même un sens, hein ? 😂 )
Un individu est parfaitement capable de faire un job, mais on lui exige un master qu’il n’a pas. Par contre celui avec un mester plus que douteux grâce à son diplôme a le poste, mais n’arrive pas à faire le boulot.
Je ne sais plus qui l’a dit, mais cela résume parfaitement ma pensée :
Aujourd’hui les entreprises préfèrent les jeunes de 20 ans avec 10 ans d’expérience.
Ça souligne assez bien la crise des RH que le monde traverse actuellement.
Cinquième obstacle : les vendeurs d’illusion
Aujourd’hui, tout quidam se revendique entrepreneur et plus couramment coach. Nous sommes dans des temps sombres, ou l’imposture règne en maître.
Dans ce monde, c’est paraître ou disparaître.
– Kery James
Et plus proche de nous :
Tout ça à cause de la philosophie du paraître qui transcende la philosophie d’être.
Pauvres camarades vous n’avez rien compris :
Nous ne sommes pas des propriétaires, mais de pauvres gérants temporaires.
– Eboa Lotin
Nous traversons donc une grave crise de valeurs depuis des décennies, et la tendance est loin de s’inverser, au contraire, tout va de mal en pis.
J’aurais dû intituler cet obstacle la naïveté et la cupidité du jeune entrepreneur. Car s’il n’y avait pas de demande, il n’y aurait pas autant d’offre, et de tels individus ne prospéreraient pas. Car comme le dit La Fontaine :
Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute.
– La Fontaine
Mais il y a une race d’entrepreneur plus dangereuse que les bluffeurs : les menteurs par omission. Devrais-je dire qu’ils sont également ingrats ? 🤔
Ces personnes qui ont bénéficié de financement et d’aides diverses, qui clament tout haut qu’ils se sont fait tout seul, à force de travail acharné. On peut donc lire dans des monographies :
J’ai commencé avec le petit commerce de cigarettes.
Sérieux ?
Bullshit et triple bullshit…
C’est pousser les jeunes gens à la déprime. On entendra alors très souvent : « ce sont les mêmes cigarettes [ou arachides] que nous vendons là ? »
Bon sang, dites la vérité aux jeunes. Vous avez reçu un grand coup de pouce, mais vous enfumez les jeunes, pour être les super héros de vos monographies bidons.
Plus sur la gratitude et la reconnaissance dans mon article axé solutions.
Sixième obstacle : l’environnement
Bien que l’obstacle précédent entre dans l’environnement, il faut noter ici que je parle du marché et des institutions.
Lors de la dernière campagne présidentielle au Cameroun, nous avons vu des jeunes Camerounais candidats à la magistrature suprême.
On pouvait alors lire comme slogan du Président de la République : « La force de l’expérience ». Car nous sommes fondamentalement dans un environnement qui n’a pas foi en sa jeunesse.
Et ce discours je l’ai entendu dans la bouche d’un ancien lors d’une assemblée constituante d’une association : « un jeune [entendez une personne sans expérience] n’a pas la capacité de diriger » P****n de m***e !
C’est donc contre cela qu’on doit se battre, en tant que jeunes (même si officiellement je n’en suis plus un, hein ? 😉 )
Dans le prochain article, je ferai de mon mieux, après avoir dressé ce constat de présenter un essai de solution à ces différents obstacles et expliquer comment à notre époque, nous nous y étions pris.
À bientôt.