Interview : 15 minutes avec Mboko Lagriffe

Artiste peintre, designer graphique, designer textile, le père de « barécolé » n’a de cesse de se réinventer. Passionné par son art, engagé pour le développement de l’Afrique et amoureux de sa nation le Cameroun, Pemeyeke Désiré Marie alias Mboko Lagriffe est notre invité de ce mois.

Qui est Pemeyeke Désiré Marie ?

Un enfant « du marécage » habité par le dessin, né à Douala, il y a environ 50 ans. Camerounais d’origine, de parents Mbamois de Batanga. Père de 03 enfants, Artiste peintre et designer professionnel, engagé pour le développement de l’Afrique en général, depuis 1991.

Mboko Lagriffe

1) Pourquoi « Mboko Lagriffe » ?

C’est un surnom qui m’a été donné par des amis d’enfance, des compagnons de fugue qui avaient remarqué mon grand intérêt pour les marques de luxe et le dessin. Adolescent, il m’arrivait de fuguer et de me retrouver à dormir sous la belle étoile. Mais j’étais tellement habité par ma passion que je dessinais tout le temps et partout. Je lisais aussi beaucoup des magazines de mode et surtout ceux qui faisaient la publicité des grandes marques de luxe. J’avais tellement soif de réussir que je m’étais secrètement juré au fond de moi, que des marques, je finirais bien par en créer un jour. Et forcément elles seraient visibles aussi dans des magazines. Bien évidemment, mes compagnons se moquaient de moi et trouvaient que je rêvais trop. Ils ne voyaient pas trop comment un fils de parents très pauvres, vivant dans des bidonvilles marécageux pouvait prétendre à une vie aussi prestigieuse! Une utopie selon eux! Mais environ 40 années plus tard, le rêve est devenu réalité, bien plus beau et plus haut que je ne l’espérais. Ma marque est sur le fuselage d’un avion de ligne d’une compagnie étrangère. Mes amis n’en reviennent toujours pas.

2) Pourrais-tu nous décrire ta journée type ?

Réveil à 7h ou 8h, prière et méditation matinale. Préparation du repas de ma chienne, Lucy alias la « Bassa-Bulu ». Après, direction studio de création. Je vérifie mes mails et je réponds à certains d’entre eux éventuellement, puis un crochet dans mon atelier de peinture pour, soit terminer une toile soit en entamer une nouvelle. Ensuite retour au studio, appels des partenaires, relance de clients…
Pause: déjeuner sur le pouce, ballade avec ma chienne, jeux et retour à l’atelier. Coaching en ligne de deux ou trois jeunes qui veulent des conseils, réunions avec clients , ensuite je m’installe sur mon ordinateur portable et je dessine jusqu’au petit matin en alternant avec des séances de méditation, prières et « ballades » sur les réseaux sociaux pour respirer un peu. Je suis un couche tard, je le confesse. C’est que je suis un passionné de mon art et je suis en permanence entrain de faire de la recherche, pour surprendre mes clients.

Frontière irréelle

3) Quand et comment es-tu arrivé dans le monde de la peinture et du design ?

Je suis comme qui dirait né avec ça dans le sang. A l’école primaire, je dessinais déjà sur mes cahiers de cours. Ensuite, adolescent, je reproduisais les affiches de cinéma. Il m’arrivait parfois de « dribbler » les cours pour aller reproduire les affiches de l’ancien cinéma « Grand Canyon ». J’y étais abonné et pour me récompenser, les responsables du cinéma me permettait de voir des bouts de films. Ensuite plus tard, après avoir arrêté mes études en classe de troisième, je suis tombé par le biais de mon ancien professeur de français, dans l’univers du dessin de presse. Il avait crée un journal et cherchait un dessinateur. C’est ainsi, qu’au même moment où je dessine pour le compte de célèbres parutions hebdomadaires du Cameroun, je me lance dans la peinture.

Je fais ma première exposition collective en 1991 aux cotés des doyens tels que Koko Komegne et autres artistes étrangers. Alors que je suis engagé dans le célèbre satirique « Le Popoli », je prépare parallèlement ma toute première exposition solo au Centre Culturel Français en 1994, intitulée: L’inconscience des couleurs. Premier succès et décollage de ma carrière: 35 tableaux exposés, 33 tableaux vendus en moins de deux heures le jour même du vernissage. Une exposition mémorable, qui me permettra d’entrer de plein saut dans le monde de l’art en général.

Le design, c’est en 1996, à la faveur d’un stage de 03 mois à la Cicam. La seule entreprise, je dirais malheureusement, dans le secteur de l’impression des pagnes au Cameroun. Je dessine des motifs textiles et mon premier dessin que je baptise pour des raisons intimes « Barécolé », imprimé à mon insu et sans mon accord, fait un carton phénoménal! Un succès commercial sans précédent qui a rapporté environ en deux mois, pas moins de deux milliard de FCFA, et je n’ai jamais été indemnisé, ni récompensé tout au moins pour cet exploit. Pire, j’ai été jeté aux orties, vilipendé, et écrasé comme un malpropre pour avoir voulu une compensation sur la sueur de mon front. Pour une oeuvre d’un jeune stagiaire qui n’était pourtant pas dans la « ligne éditoriale », selon mon « contremaître » à l’époque Monsieur Jacob Mbowou, dont je salue la patience, je suis rentré dans les annales historiques de cette entreprise coloniale. Il me souvient que j’étais payé 40 000 FCFA/mois et que je devais quitter mon modeste studio de Nkongmondo pour aller à Bassa, Ndokotti, pour exercer mon talent de designer. Mon entrée dans le monde du design a un goût plutôt sucré-salé ! J’en garde un souvenir inoubliable.

The Enlightened

4) Entre la peinture et le design, quelle discipline préfères-tu ?

Choix difficile tout de même !

5) Quels sont les outils que tu emporterais avec toi, si tu devais t’exiler sur une île déserte ?

Un crayon et un bloc note.

Bloc note.

6) Tu donnes un nom à chacune de tes œuvres. D’où te vient l’inspiration ?

De Dieu. De la nature, des Hommes.

7) Quel obstacle majeur as-tu dû surmonter au début de ta carrière ?

L’incompréhension des gens qui m’entouraient.

8) Quelle est l’idée cachée derrière la « villa Batanga » ? Pourquoi le « Barbecue Expo » ?

C’est une tribune alternative pour les jeunes artistes, à qui les galeries opposent un refus et demandent une première expérience. C’est une motivation supplémentaire, c’est un lieu de convivialité et d’échanges.

9) Quel est le défi de « Gifted Design Company » ? D’où te vient ta motivation ?

Faire accroître auprès des entrepreneurs surtout au Cameroun, le désir d’intégrer le design et l’art comme un élément incontournable et déterminant dans toute la chaîne des valeurs de leur entreprise. Ma motivation me vient de mon envie de réussir quelque chose avec des jeunes de cette génération, créer des emplois et former des jeunes qui assureront la relève demain. Honnêtement, quand je regarde mon environnement immédiat, voir de nombreux jeunes autour de moi qui errent toute la journée, m’interpelle et me pousse à me dépasser pour trouver des solutions à ce chômage galopant.

Porte stylos

10) Sur quel projet t’es-tu le plus amusé ?

L’habillage de l’avion de la Royal Air Maroc.

11) Que penses-tu du niveau actuel de la peinture au Cameroun ? Peut-on noter des progrès au cours des 10 dernières années ?

Nous avons gagné en quantité mais la qualité reste à améliorer. Il y a beaucoup plus d’intérêt dans le milieu de l’art en général. La peinture attire quelques adeptes, mais beaucoup de jeunes copient chez le voisin et c’est pas une pratique à encourager. L’originalité n’est pas vraiment à la portée de tous.

12) Pourquoi as-tu ressenti le besoin de former les jeunes ?

Pour bâtir une génération de personnes créatives et capables de porter haut l’image du Cameroun à l’intérieur comme à l’extérieur du triangle national.

Tong ISA

13) Quelle est ton actualité? Tes projets en cours ou avenir ?

Travail sur un concept de tablette de chocolat artisanal très « Arty » qui promeut la culture et qui met en exergue le Cameroun dans toute sa diversité. C’est une équipe dévouée qui travaille tant au niveau de l’habillage extérieur, parlant du packaging, qu’au niveau du design de la tablette proprement dite, avec un moule sur mesure. Je voudrais ainsi pouvoir proposer aux clients exigeants et amateurs d’art, surtout fans de mon travail, un chocolat unique, racé, à base du cacao Camerounais, fait à « quatre mains » et signé pour ce qui est de la cuisine par un maître chocolatier international Camerounais. Ce sera une team 100% kmer, blindée de créativité et de surprenantes propositions à coup sûr.

14) Quels conseils pour les débutants et pour les amateurs qui ont du mal à se lancer ?

N’attendez rien de personne, jetez vous à l’eau, puis nager. Vous boirez quelques tasses au début, mais grâce à votre travail, votre détermination et votre foi, vous survivrez. Si vous avez l’esprit d’initiative doublé d’une capacité à proposer des idées originales, vous réussirez !

Mug masque royal

15) Le Mantra de Mboko Lagriffe.

Rire au quotidien, laisser couler !

Love

Merci Mboko Lagriffe.